
Les bons à rien de gauche
MK Lee et Marianne Garneau pose un regard sur les mauvais résultats de la gauche dans les campagnes d’organisation sur le lieu de travail.
Il y a souvent une tentation quand on commence à s’organiser de se concentrer sur les personnes qui l’on pense peuvent être politiquement à Gauche – de les atteindre elleux d’abord, ou même de les inviter dans votre comité d’organisation.
“Il est au DSA [parti de gauche « Democratic Socialists of America »]”
“Elle poste des memes de guillotine”
“Iel porte un de ces T-shirts “Grêve générale” de l’IWW au travail une fois”
Ces personnes ont déjà une idéologie pro syndicaliste, et donc iels devrait être prédisposés à s’engager dans une lutte des classes, n’est-ce pas?
Pas si vite! Dans presque toutes les campagnes auxquelles nous avons participé, et dans des dizaines d’histoires de camarades organisateurices, l’accablante tendance c’est que des personnes de gauche, par ailleurs fiers, se montrent, au mieux, comme des flocons, au pire, comme des personnes qui sapent activement l’organisation. Voici quelques exemples.
• Flocons, retourneur de veste et voyou.
Dans une campagne avec en tête l’IWW, l’intégralité du staff de l’entreprise s’inscris et deviens membre de l’IWW – à l’exception d’une personne. Cette personne était toujours “accroché” sur les réseaux sociaux, comme le raconte un collègue. “Toujours à poster à propos des syndicats, des problèmes de racisme, d’immigration, de disparité économique… Un activiste des droits du travail en somme”. Mais quand vient le temps de prendre la carte rouge, il refuse et se blottit même contre le patron après l’officialisation du syndicat.
Un autre travailleur de la même campagne, embauché après l’officialisation du syndicat, actif au DSA, et “faisant toujours des levées de fonds pour des associations de justice et sans profits”, d’après une autre travailleuse. Mais au contraire de la majorité de ses collègues, il refuse de rejoindre le syndicat.
“Je l’ai rencontré dans les cercles de soutient au Rojava avant que je commence à travailler ici. C’est le genre “professeur de la Gauche” dans le magasin, il lit tous les livres de philosophie et écoute les livres de Murray Bookchin enregistré. Il m’a demandé pour organiser un syndicat une fois il y a six mois, très désinvolte, on a eu un déjeuner et une courte conversation là-dessus. J’ai essayé de le suivre régulièrement pendant un moment, et il a ignoré mes textos. Quand j’ai enfin pu lui parler en personne, il m’a dit que ‘l’anarcho-syndicalisme et une pratique révolutionnaire défaillante contre le capitalisme’, que les syndicats ont survécu trop longtemps comparé à leur utilité comme véhicule révolutionnaire et qu’il s’apprêtait à ouvrir un petit commerce.”
Un organisateur avec le SEIU impliqué dans les campagnes des professeurs de l’enseignement supérieur montre à quel point il est difficile de recruter des universitaires de gauche :
“Il y avait un professeur adjoint à l’université de [censuré] que mon collègue et moi sommes allé rencontrer. Mon collègue était en train d’écouter son cours avant la fin de la classe. C’était tout sur le féminisme, et Bell Hook, la radicalité, et les idées révolutionnaire. Mais cette personne n’était pas
intéressée, ni ne supportait de quelque manière que ce soit les syndicats. J’ai vu ça tellement de fois : le professeur de Marxisme, ou le professeur qui parle d’idées vraiment radicale qui quand vient le temps de mettre ces idées radicales en pratique sont aux abonnés absents.”
Une autre organisatrice d’un autre syndicat, aussi impliquée dans la campagne de l’enseignement supérieur, offre un problème similairement frustrant: ”beaucoup de facultés refusent de s’investir avec les syndicats parce que ce n’est pas assez à gauche. Pas assez anarchiste” Quelques-uns, dit-elle, “refuse même de signer une carte”.
En fait, les personnes de gauche utilisent souvent leur politique pour argumenter sur le pourquoi ils et elles ne devraient pas rejoindre de syndicat. A l’IWW Courier Union de Chicago au milieu des années 2000, un messager était membre de Workers World Party [parti révolutionnaire marxiste-léniniste]. A quelques occasions il s’est rendu au meeting, s’est opposé à l’idée que l’IWW devienne le syndicat des messagers, préconisant d’appeler le SEIU [syndicat social-démocrate]. Mais il n’a jamais rien fait pour organiser ses collègues ou soutenir l’organisation qui se préparait.
Trop à gauche, pas assez à gauche, les gauchistes aiment à jouer à Boucle d’Or avec les syndicats. Considérant, concrètement, combien ces gens font pour construire réellement un pouvoir avec leur collègues, cela ressemble plus à une excuse.
Le problème avec les personnes de gauche n’est pas toujours un problème de désengagement. Parfois les personnes de gauche s’impliquent mais de manière perturbatrice. Un membre d’une campagne de l’IWW dans un restaurant se rappelle qu’un collègue anarchiste auto-proclamé était le plus perturbateur des membres du comité. Il criait sur ses collègues pour avoir fait quelque chose de la mauvaise manière, et quand on lui à demander un débriefe après un incident de ce type, il a simplement quitté le syndicat et a commencé à critiquer le comité auprès d’autres collègues et à ainsi participer à l’effort antisyndical.
D’autre membre d’autres campagnes se rappellent des personnes de gauche faisant des coups d’éclat radicaux, complètement hors de propos par rapport au plan de leurs collègues – en fait il y a une section entière de l’entrainement à l’organisateurice de l’IWW (OT102) à ce propos et à propos de que faire de ces collègues qui ne prennent pas leur responsabilité devant le comité.
Peut-être que, pensant qu’ils savent mieux que les autres, les personnes de gauche sont parfois les moins aptes de collaborer avec leurs collègues ! Un organisateur pour un syndicat mainstream mais aussi à l’IWW note qu’il y a une caractéristique commune à toutes ces personnes de gauche : “Toujours, toujours considérer les divergences d’opinions politiques ou stratégiques comme très personnelles, et comme une attaque personnelle.”
• Refuser de parler avec les collègues.
De loin la chose que nous observons le plus c’est des personnes de gauche qui ne veulent ou ne peuvent pas atteindre et parler avec leurs collègues dans ce que nous appelons un “tête à tête”. On se l’accorde c’est une situation effrayante pour de nombreux·se travailleur·euses mais il semble que ce soit véritablement un barrage à gauchiste !
Une organisatrice dans la Rust Belt se souvient quand une douzaine de membre du DSA [parti de gauche « Democratic Socialists of America »] l’ont approché pour organiser leur lieu de travail, une entreprise de tech. Elle les a rencontrés en tant que staff du syndicat mainstream pour laquelle elle travail. “Ils ont formé un comité”, se souvient- elle. “C’était seulement ceux de gauche. J’ai dit « vous allez devoir faire des tête à tête ». Ils étaient vraiment braqués par rapport à ça”.
Quelques-uns sont aller à un Organiser Training 101 de l’IWW, qui montre, pas à pas, les étapes qu’implique le fait de parler à ses collègues, en les invitants à discuter en dehors des heures de travail, poser des questions par rapport à leurs problèmes – en affrontant de front toutes les maladresses et tous les pièges par le biais de jeux de rôle et de discussions de groupe. Mais les membres du DSA ont quand même continué de ne pas approcher leurs collègues…
“Après ça nous avons tous rencontré le directeur d’organisation” dit l’organisatrice. “Nous avons fait le plan du personnel du lieu de travail et leur avons dit quels serait les prochaines étapes : faire une liste de contact. Commencer à construire des liens avec les collègues. D’aller juste parler avec les gens, devenir ami·es. Cela devient plus simple plus on le fait”.
Avec rien d’autre à faire que de faire des têtes à têtes, “ ils ont tous disparu de la surface du globe. Ils ont arrêté de s’organiser. Ils ont dit « Ouai on a peur. On aime bien notre patron » Les membre du staff leur ont fait remarquer que leur entreprise venait d’être racheter par une multinationale et faisait déjà des coupes dans les avantages sociaux. “On disait : ‘Vous devez parler avec vos collègues’. Ils ne l’ont juste pas fait”.
A la place, les membres du DSA on fait ce que beaucoup à gauche font : ils ont ignoré leur propre lieu de travail et ont cherché à militer sans avoir à se retrouver en tête-à-tête ou à affronter le patron. Ils ont organisé une grosse levée de fonds pour une association à but non lucratif appelé Justice is Global.
L’Organisatrice y a été, à leur invitation. “c’était insensé. Il y avait vingt personnes, et presque toutes était de leur lieu de travail. Ils auraient pu doubler la taille du comité s’ils avaient juste parlé des syndicats dans cette salle ”.
“Ils étaient là: ‘Nous avons besoins d’atteindre d’autre travailleur.euse.s dans le monde’. Avez-vous atteint vos collègue ?” L’entreprise internationale pour laquelle ils travaillent est une des plus grosses entreprises du monde. C’est un moyen d’atteindre d’autres travailleurs. Vous avez le moyen idéal de le faire : par le biais d’un syndicat ! »
C’est devenu un modèle. Les personnes de gauche sont beaucoup plus à l’aise pour tendre la main à d’autres radicaux ou pour s’engager dans l’activisme – y compris pour aider les travailleurs pauvres et opprimés ailleurs – que pour organiser leur propre lieu de travail. Les gauchistes diffusent dans les médias sociaux des informations sur une grève générale et appellent la classe ouvrière à se soulever, mais refusent d’avoir la même conversation avec les personnes avec lesquelles ils travaillent.
• Le militantisme là où on l’attend le moins
Entre-temps, considérons quelques exemples inverses :
– Au cours d’une campagne des IWW à Chicago, Steve, un ancien tôlier, a refusé de soutenir le syndicat lorsqu’on lui a demandé son avis. Des années auparavant, il avait été chassé de son emploi à la fois par les patrons et par le syndicat, et sa conception de ce qu’est un « syndicat » avait été colorée par une histoire peu glorieuse. Si la campagne de l’IWW avait impliqué une élection syndicale, il aurait probablement voté « non ». Bref Steve était un « 5 » dans l’évaluation du soutien des travailleur·euse à l’effort d’organisation. Mais lorsqu’il fut question de mener une action sur son lieu de travail, il a pris la tête du combat ! Le syndicat avait soigneusement préparé un arrêt de travail pour obtenir une augmentation de salaire, et Steve a mené la charge, et a même accepté un poste comme l’un des deux représentants des travailleurs dans les négociations avec la direction.
– L’un des organisateurs de la campagne des professeurs mentionnés plus haut raconte que, lors d’une campagne parmi les adjoints, « les chefs de file des travailleurs, ceux qui se sont engagés le plus activement dans la formation du syndicat dès le début, étaient en fait issu d’un département les plus conservateurs de la faculté ».
Les combattant·es les plus capables et les plus militant·es qui émergent dans une campagne donnée sont souvent des personnes qui n’avaient aucun engagement de gauche auparavant, ni même aucune expérience syndicale antérieure. Il y a une raison naturelle à cela : les gens se battent avec leur cœur, pour ce qui compte vraiment pour elleux et leur famille. Leur motivation ne vient pas d’une politique abstraite, comme c’est le cas pour certains à gauche.
Lorsque la campagne Stardust de l’IWW – la plus importante de l’histoire récente du syndicat – a pris son envol, un ami organisateur nous a dit que c’était parce qu’il n’y avait pas de gauchistes impliqués. Au lieu de cela, les travailleur·euses ordinaires s’attaquaient au patron sur des questions spécifiques sur le lieu de travail, menaient des grèves, refusaient de travailler et débrayaient ; et gagnaient ! Cela continue d’être le cas, lorsque des personnes inattendues s’engagent sur une question donnée – une question qui leur tient à cœur – et mènent la charge.
De même, lorsque les « rangs » se gonflent dans un syndicat traditionnel, les militant·es qui émergent sont souvent des gens ordinaires qui s’intéressent simplement aux problèmes, et non des personnes de gauche qui ont leur carte, et qui peuvent tout aussi bien freiner la lutte (voir « The Leftwing Committeeman » dans Punching Out de Martin Glaberman).
• Pourquoi en est-il ainsi ?
Pourquoi tant de personnes à gauche sont-ils si dévoués aux syndicats dans leur esprit et si mauvais syndicalistes dans le monde extérieur à leur esprit ?
L’idéologie politique est, pour beaucoup de gens, une identité, pas un ensemble d’engagements pratiques. Toute personne qui fréquente principalement des espaces sous-culturels, de gauche ou autres, aura plus de mal à se sentir à l’aise avec les « normies ». Pire encore, l’idéologie peut servir de moyen confortable pour masquer les peurs. Si vous pouvez refuser de participer pour des raisons politiques, c’est beaucoup plus facile que de reconnaître que vous avez peur de perdre votre emploi, tout comme vos collègues libéraux et conservateurs.
Mais heureusement, notre objectif n’est pas d’organiser les personnes de gauche, nous sommes ici pour nous organiser avec la classe ouvrière.
Ce que les travailleur·euses pensent et disent des « syndicats » ne reflète pas la façon dont ils se comporteront lorsqu’une lutte organisée éclatera avec leur patron. Comme nous pouvons le voir ci- dessus, des travailleur·euses qui sont consciemment engagé·es dans le mouvement ouvrier cesseront tout d’un coup, mystérieusement, de répondre aux appels téléphoniques et de poursuivre le travail. Des travailleurs qui n’auraient jamais parlé favorablement des syndicats risqueront tout lors d’un arrêt de travail pour garder la tête haute à côté de leurs collègues.
Quelle que soit l’explication de ce phénomène, la corrélation est trop forte pour être ignorée. Si vous tenez compte de la leçon, non seulement vous cesserez de vous diriger vers des collègues gauchistes, mais vous pourrez même faire un écart pour les éviter complètement.
Traduit de l’anglais par IWW Bruxelles
Article original « The leftwing deadbeat » sur organizing.work