Les groupes œuvrant pour le changement social – y compris les syndicats – financent cette activité de différentes manières. G DeJunz affirme que les cotisations sont la seule forme démocratique de financement, et la seule qui permette aux membres de l’organisation de garder le contrôle de leur activité et de leur mission. Ceci est applicable aux différents modèles de financement de l’organisation du travail.
Si vous envisagez de rejoindre une organisation de changement social, il y a beaucoup de choses que vous pourriez examiner. A-t-elle fait ses preuves dans l’accomplissement d’un travail important ? A-t-elle une vision à long terme ? Prend-elle ses décisions de manière démocratique ? Agit-elle selon des principes, y compris sur des questions internes ?
Une autre question à laquelle vous ne pensez peut-être pas : quel est le modèle de financement de l’organisation ? Il s’avère que l’on peut en apprendre beaucoup sur la mission réelle d’une organisation, et sur les personnes à qui elle doit rendre des comptes, en regardant d’où vient son argent.
Découvrez la source de financement
Par où commencer ? Tout d’abord, découvrez toutes les sources de financement. Le financement peut ne pas être ce qu’il semble être. Par exemple, de nombreuses organisations ont des cotisations symboliques pour donner aux membres un sentiment de propriété et d’appartenance, mais la plupart des fonds proviennent d’autres sources. Ou peut-être y a-t-il du personnel payé par une autre organisation dont personne ne parle. Une organisation transparente met à disposition toutes les informations dont vous avez besoin pour comprendre le modèle de financement.
Assurez-vous qu’aucun revenu ou dépense important, notamment les salaires, n’est omis. Assurez-vous que les revenus correspondent aux dépenses. Tout manque de transparence financière est un signal d’alarme.
Prenez note : quelle est la source de revenus la plus importante ?
Les donateurs sont le moteur de la mission de l’organisation
Maintenant que vous connaissez la principale source de financement, vous pouvez réaliser un modèle simplifié de l’organisation. Ce modèle indique d’où vient l’argent et où il va, et comment ces deux éléments influencent la direction générale de l’organisation.
Cette méthode est similaire à celle utilisée par Noam Chomsky pour analyser les médias financés par la publicité dans son ouvrage « Manufacturing Consent ». Si vous regardez la télévision financée par la publicité, même les meilleures émissions créées par les auteur·trices les mieux intentionné·es doivent finalement répondre aux annonceurs qui rendent l’émission possible. Vous pensez que les créateur·trices de l’émission produisent du divertissement ou des informations et que vous êtes le/la client·e qui les consomme, mais la réalité renverse les choses : votre attention est le produit qui est vendu aux annonceurs, le véritable client. Le divertissement n’est pas du tout le produit, mais plutôt une matière première utilisée pour attirer votre attention et la vendre.
De même, toute organisation agissant pour le changement social peut être considérée comme générant un produit. Ses actions créent le produit (résultats mesurables), mais ce qui compte vraiment, c’est l’impression que les client·es (les principaux bailleurs de fonds) ont de ces résultats. La mission de l’organisation est d’adapter ses actions afin d’obtenir le bon produit (le travail qu’elle fait) pour répondre aux besoins des client·es (ses bailleurs de fonds). Malgré les meilleures intentions des membres ou des personnes impliquées, cela peut être très différent de la mission déclarée.
Examinons quelques sources de financement courantes et ce qu’elles impliquent.
Fondations et donateurs fortunés
De nombreux organismes sans but lucratif sont principalement financés par des particulier·es fortuné·es ou par des subventions de fondations créées par des sociétés et des familles fortunées. On a beaucoup écrit sur les organisations financées de cette manière et sur la façon dont elles finissent par réorienter leur mission. Stand for Children en est un exemple extrême. Au départ, il s’agissait d’une organisation de parents qui luttait pour réduire la taille des classes et réparer les écoles en ruine pour les élèves à faibles revenus. Une forte augmentation des millions de dollars de financement de la part de la Fondation Gates (créée par le fondateur de Microsoft) et de la Fondation Walton (créée par la famille propriétaire de Walmart) a conduit à un changement de mission pour promouvoir la réforme de l’éducation des entreprises et la réduction des impôts sur les plus-values pour les riches. Il s’agit d’un problème courant, même lorsque l’argent est moins important. The Revolution Will Not Be Funded d’INCITE ! est une excellente ressource, qui rassemble plusieurs essais sur les problèmes inhérents à la pratique courante des organisations de justice sociale dépendant de l’argent des riches.
Mais souvent, les groupes radicaux pensent qu’ils sont plus intelligents que les bailleurs de fonds. Il suffit de penser à l’ironie du fait que de riches capitalistes financent une révolution ! Dès qu’ils commencent à dépendre de l’argent, pour financer des salaires ou d’autres dépenses, même le processus le plus démocratique sera réorienté par la peur de perdre le financement nécessaire. Et c’est une peur rationnelle – le gagne-pain des salariés en dépend, et ignorer les objectifs des financeurs peut entraîner la destruction de l’organisation. Le financement de la fondation signifie que vous êtes un contractant, travaillant à la poursuite des objectifs des riches qui soutiennent le groupe.
Informel, à fonds perdus
De nombreuses personnes voient cela et réagissent en décidant que l’argent corrompt, et qu’il est donc préférable de gérer l’organisation sans argent. Le travail est effectué par des bénévoles au lieu de personne rémunérée, il n’y a donc pas besoin de salaires. Les membres peuvent imprimer gratuitement à leur école ou à leur travail. D’autres membres ont des contacts pour des espaces de réunion, et les membres qui ont un emploi bien rémunéré peuvent se porter volontaires pour payer des choses de leur poche sans être remboursé·es. Tout cela semble génial et juste – payer pour des choses qui pourraient être gratuites est un gaspillage, et pour le reste, quoi de plus juste que « de chacun selon ses capacités » ?
Il y a juste un problème. Si vous n’avez pas un emploi de bureau où vous pouvez escroquer des copies, et que vous n’avez pas de relations, et que vous ne pouvez pas vous permettre de payer les choses de votre poche, quel est votre rôle dans l’organisation ? Que se passe-t-il si vous proposez de faire imprimer quelque chose et que les personnes ayant accès aux imprimantes sont contre cette idée ? Elles sont peut-être prêtes à risquer d’être licenciées si elles sont d’accord avec le contenu du tract, mais sinon, elles ne le sont pas. Comment pouvez-vous vaincre cela ? Toutes ces situations de financement informel créent un déséquilibre de pouvoir – tout comme les organismes sans but lucratif financés par des fondations, même le processus décisionnel le plus démocratique est réorienté pour favoriser les objectifs de ceux qui paient la facture. L’ouvrage The Tyranny of Structurelessness de Jo Freeman décrit très bien les problèmes de hiérarchies invisibles dans les organisations informelles, en se concentrant principalement sur le leadership et la prise de décision, mais ces mêmes problèmes se posent également avec le financement informel.
« Collecte de fonds » à la base
Ok, il y a un problème avec le fait de demander de l’argent aux riches, et il y a un problème avec le fait de gérer les choses « sans argent ». Que pensez-vous d’une troisième option qui évite ces problèmes : la collecte de fonds à la base ? Au lieu d’obtenir de l’argent de quelques riches donateur·trices ou de la poche de membres plus fortuné·es, pourquoi ne pas aller vers la communauté et demander de nombreuses petites contributions ? Il ne s’agit pas de personnes riches et les contributions plus larges et plus nombreuses garantissent qu’elles ne font pas partie d’une hiérarchie de pouvoir informelle. L’organisation reçoit l’argent dont elle a besoin et les gens peuvent choisir de s’impliquer en donnant leur temps et leur énergie ou en donnant un peu d’argent.
Quel peut être le problème de cette situation ? Tout d’abord, elle établit un fossé entre deux types de personnes : les membres, qui consacrent du temps, prennent des décisions et font le travail, et les sympathisant·es, qui s’impliquent beaucoup moins mais font des dons s’ils/elles aiment ce qu’ils/elles voient. Cela peut être une bonne chose – les membres sont obligé·es de s’assurer que le travail de l’organisation est pertinent pour que l’argent continue à circuler.
Mais si les donateur·trices s’impliquent peu, l’impression de bon travail vient de la manière dont l’organisation élabore son message. Et les donateur·trices ont peu de raisons de devenir membres – ils font déjà leur part, et c’est facile. Cette dynamique crée un petit groupe interne qui se commercialise auprès de la communauté. Ce type d’organisation de services n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il est limité car il ne s’agit pas d’un modèle démocratique ni d’un modèle d’organisation. Les nombreu·se·x donateur·trices ne seront jamais en mesure d’avoir une voix égale à celle des membres actif·ves, et pendant ce temps, les membres actif·ves doivent adapter leurs activités pour les présenter à une communauté de base non impliquée, remodelant ainsi leur mission. Ce faible niveau d’implication signifie que les donateur·trices n’ont qu’un faible aperçu des activités réelles, se fiant à la présentation du succès, ce qui fait que la présentation fait autant partie de la mission que le travail lui-même.
Les cotisations des membres
Que reste-t-il ? Toutes les options proposées jusqu’à présent ont un point commun : elles visent toutes à éviter que les membres soient obligés de financer elleux-mêmes l’organisation. Examinons donc plutôt cette question.
Dans une organisation financée par des cotisations, le paiement d’une certaine somme d’argent à intervalles réguliers est une condition d’adhésion et constitue la principale source de financement de l’activité de l’organisation. Les cotisations sont un moyen de mettre en commun de maigres ressources pour obtenir un effet collectif plus important. Il peut y avoir une échelle mobile basée sur le revenu, ou des considérations de difficultés particulières, mais tout le monde doit payer pour être membre et avoir le droit de vote. Une fois les cotisations collectées, l’argent est mis en commun et devient la propriété collective de tou·tes les membres qui peuvent le dépenser comme ils/elles le décident collectivement.
Avantages du financement basé sur les cotisations
Le financement basé sur les cotisations présente de nombreux avantages par rapport aux autres types de financement. Il est, en fait, le plus démocratique et le mieux adapté à un modèle d’organisation et de croissance, et ce pour plusieurs raisons :
– Tout le monde paie, donc tout le monde a son mot à dire
– C’est l’argent des membres, collectivement
– L’organisation ne devient pas dépendante, et donc redevable, des membres les plus riches – tant que l’échelle mobile n’est pas extrême et que les droits des membres sont égaux pour tou·tes, quel que soit le niveau de cotisation.
– Il s’agit d’une source d’argent stable tant que l’organisation compte des membres.
– L’argent est collecté par l’organisation – l’arrivée de nouveaux membres signifie plus d’argent pour financer des activités plus importantes.
– Même le membre le plus pauvre peut voter pour dépenser de l’argent et peut se porter volontaire pour accomplir des tâches en utilisant l’argent de l’organisation.
– Puisque tout le monde paie, tout le monde s’intéresse à la façon dont l’argent est dépensé – c’est un contrôle du gaspillage.
– Le financement ne peut pas être coupé par des ennemis qui ciblent les donateur·trices.
Il existe de nombreuses façons de financer une organisation, mais seules les cotisations permettent de confier démocratiquement le pouvoir aux membres, sur un pied d’égalité.
Cotisations et syndicats
C’est la raison pour laquelle les syndicats sont l’un des rares types d’organisations à être encore principalement financés par des cotisations, car ils existent pour défendre les intérêts de leurs membres. Il existe d’autres organisations de type syndical, comme les « centres de travailleur·euses » qui défendent les intérêts des travailleur·euses mais ne sont pas financés par les cotisations, et qui présentent bon nombre des défauts mentionnés ci-dessus. Un syndicat en pleine croissance, qui cherche à organiser et à promouvoir les intérêts de l’ensemble de la classe ouvrière, comme l’IWW, doit compter sur les cotisations pour rester fidèle à sa mission. Au sein de l’IWW, les membres dépensent également ces cotisations elleux-mêmes, par le biais d’une prise de décision démocratique, un élément clé de la démocratie.
La provenance de l’argent est importante. Une organisation de changement social à laquelle il vaut la peine d’adhérer aura des objectifs et une vision dignes de ce nom, ainsi qu’un financement basé sur les cotisations afin de s’assurer que ses membres la mènent collectivement à bien.
Traduit de l’anglais par IWW Bruxelles
Article original sur Organizing Work