TOUT·ES EN GREVE?
Alors que se termine la onzième journée de grève contre la réforme des retraites en France, pendant que les médias lancent leurs habituelles rengaines sur les violences, qu’il faudrait absolument condamner, et le nombre de manifestant·es en baisse (ou pas) prenons le temps deux minutes pour analyser les conséquences des mots d’ordre venus d’en haut et le recours systématique à la grève comme seul mode d’action.
Il est évident qu’aujourd’hui en France des blocages et des sabotages ont lieux par endroit, mais force est de constater que la dynamique de grève est omniprésente et qu’elle semble, aux yeux des syndicats majoritaires, être le seul moyen de faire plier le gouvernement. Mais celle-ci à des limites qui ne sont pas négligeables.
Tout d’abord elle nous crame en tant que travailleur·euses car beaucoup d’efforts reposent sur peu de personne. La dynamique syndicale est ainsi faite en France que l’organisation de lutte repose sur peu. Du coup, le burn-out militant nous guette autant que la répression macroniste.
Ensuite économiquement. Face à la stratégie de pourrissement du camp d’en face il semble difficile à croire que nos collègues et camarades les plus précaires puissent tenir la grève dans la durée. On s’entend, une solidarité et des caisses de grèves s’organisent mais est-ce que cela suffira ?
Enfin les « autres ». Nous savons qu’une opinion très favorable existe en faveur de la lutte contre la réforme des retraites et ceci n’est pas du tout négligeable. Mais que fait cette ”majorité silencieuse » ? Pas la grève en tout cas. En effet, tout le monde ne peut pas faire grève, parce que ça coute, parce qu’on a peur des représailles patronales ou de la violence de la police, ou pour tout pleins d’autres raisons qui nous sont propres.
Si la grève ne convient pas à ces personnes, comment pouvons-nous quand même faire pression ensemble ? Nous devons trouver des techniques de lutte qui n’excluent pas de base une partie de la population et qui peut avoir un effet global contre la stratégie politique de la macronie.
L’idée que tou·tes les travailleur·euses se sentant concerné·es puissent participer dans les limites de leurs moyens à une lutte à laquelle iels croient devrait être un objectif prioritaire !
FAIRE PARTICIPER TOUJOURS PLUS DE MONDE, DIVERSIFIER LA LUTTE !
Si les formations d’organisateur·trice (OT101) de l’IWW nous ont appris une chose c’est que l’histoire syndicale regorge d’exemples et de méthodes d’action directe qui ont fait plier le patronat. En gros, les moyens de lutte sont aussi divers et variés qu’il y a de lieu de travail, d’idées ou de personnes. Et c’est un des avantages que nous travailleur·euses et organisateur·ices devons prendre en mains pour augmenter notre rapport de force. Et non, le travail de créer un rapport de force n’est pas une chose délégable à une poignée de militant·es syndicau·ales, pour, en partie, les raisons que nous avons vues plus haut. (voir article « déléguer ! »)
Une phrase lue ou entendue sonnait comme suit : « On nous demande de travailler deux ans de plus donc nous allons travailler plus lentement histoire de se conserver un peu ».
Et là est peut-être une des solutions à l’inclusion de plus de collègues dans la résistance !
Entre la grève de la facturation ou du « bon service » qui consiste à ne pas faire payer les client·es; la grève du zèle qui ralentit le travail en respectant à outrance des procédures; la grève perlée qui consiste à faire des pauses de 15 minutes toutes les 30 minutes ou toutes les heures; les moments de » freeze » ou tout le monde arrête de travailler pendant un temps donné à une heure donné; les ralentissements simple des cadences; les journées « ignore le patron » où nous ignorons totalement et simplement toute interaction avec notre hiérarchie; sans oublier les traditionnels blocages et sabotages, il y a là un terreau fertile pour tout type de luttes locales et désordonnées que ni le gouvernement ni les patrons ne peuvent contrer par la réquisition ou par notre portefeuille. Le panel d’action est énorme. Nous devons ralentir l’économie, baisser les profits, ignorer la subordination patronale et fédérer nos collègues localement et démocratiquement.
Alors bien sûr certaines de ces actions apparaissent moins radicales ou « totales » que la grève où l’absence de travail est complète. Mais ces actions permettent d’inclure un maximum de nos collègues depuis leur niveau de radicalité dans un rapport de force tenable sur le long court, qui, si nous l’accompagnons bien, peut augmenter en intensité et pourquoi pas se transformer en grèves massives là où quelques semaines plus tôt il n’y avait pas de contestation. Car l’implication de nos collègues dans nos efforts d’organisation et de résistance se fait à partir d’elleux et non de nous. Comment les accompagner depuis leur niveau de radicalité à faire des actions directes tenables et envisageables par elleux-mêmes pour ensuite passer à un niveau supérieur dans le rapport de force, voici notre question.
Nous savons pertinemment que ce travail d’organisation à la base et d’augmentation de l’implication n’est pas évident. En effet, cela signifie de décentraliser un maximum vers des comités de bases sur le lieu de travail. Des comités qui sont actifs et démocratiques, des comités qui incluent le plus grand nombre de collègues. Pour arriver à cela, cela signifie créer des liens entre collègues, développer ces relations, se lier, se réunir régulièrement pour décider de ce qu’on veut changer sur notre lieu de travail pour ensuite passer à l’action directe collective pour obtenir des améliorations.
C’est un travail collectif de fourmis, de longue haleine et lent. Un travail qui impacte notre quotidien. Mais c’est aussi un travail qui nous transforme car on développe des liens forts et la solidarité qui va avec, car on apprend la pratique de la démocratie directe, car on prend confiance en nous-même et en notre pouvoir collectif, car on devient sujet actif avec nos collègues. C’est un travail dur et souvent invisible qui est clé et essentiel derrière les grands mouvements sociaux. C’est bien pour cela qu’il est souvent négligé ou ignoré en faveur du raccourci plus facile de la mobilisation ou de l’appel à la grève par le haut. Selon nous, il est essentiel de repartir de ce travail de base que nous appelons l’organisation et qui est l’objet de notre formation de base : la formation OT101.
Mais évidemment, loin de nous l’idée de dire qu’il « suffit » de faire ceci ou cela, mais plutôt de ramener la réflexion à ce qui pourrait, outre la grève, outre les mots d’ordre venus d’en haut, faire plier le patronat.
Ainsi, nous pensons qu’il faut recourir à notre imagination et à l’histoire de l’action directe sur nos lieux travail et s’enraciner dans les liens que nous construisons avec nos collègues. Une multitude d’outils d’action directes existent et nos collègues ont probablement les meilleures idées d’application de ceux-ci. Profitons-en !
De plus, ces méthodes d’action n’entrent évidemment pas en conflit avec les journées de grèves et les blocages organisés par les grandes structures syndicales, au contraire, ils les amplifient. Enfin les grosses journées d’action de grève coordonnées depuis le bas, et massives, sont utiles dans la lutte car elles impactent de manière importante l’économie.
C’est le moyen de faire comprendre aux capitalistes qu’ils ont beau posséder les moyens de productions nous sommes celles et ceux qui produisons. Sans nous ils ne sont que des gens avec des usines ou des bureaux vides. Mais si ces grèves sont suivies de journées de travail où nous rattrapons les cadences et les retards économiques alors elles ne suffisent pas.
Nous restons persuadé·es que multiplier et varier les actions directes face au capital est le seul moyen de le faire flancher.
Découvrir un moyen puissant de faire plier un gouvernement aussi convaincu idéologiquement que celui de Macron serait un message fort à apporter aux travailleurs et travailleuses du monde entier. Alors c’est bien évidement l’occasion de faire évoluer nos techniques de lutte.
BE WATER!
Par ce slogan, utilisé à Hong Kong les manifestant·es exprimaient la multiplicité des actions ce qui rend le mouvement global incontrôlable, tel un torrent qui malgré les roches, malgré les courbes, arrive toujours à son objectif : la mer.
L’idée contre les régimes autoritaires est applicable contre le capital qui est par essence lui aussi autoritaire.
Plutôt eux que nous, plutôt la victoire que 2 ans de plus.
Courage collègues, courage camarades !
Signé des syndicalistes belges et français membre de l’IWW Bruxelles
Traduit et publié également en anglais sur Industrial Worker
ainsi qu’en espagnol sur Solidaridad